Humour - les dangers du jeu de rôle et de l'alpinisme comparés

Fin mai aura lieu la Fête du Jeu, lors de laquelle je fais toujours une initiation au jdr. En me préparant, j'ai imaginé ce petit texte :


On accuse parfois (moins souvent que jadis mais encore un peu) le jeu de rôles de véhiculer des tendances à la dépression voire au suicide, au fascisme, au satanisme, à la soumission au meneur de jeu-manipulateur mental, etc.

Tout cela est faux et je me tiens à votre disposition pour en parler. Mais pour le moment je vous propose un petit jeu.

Imaginons que la presse, écrite ou non, traite divers sujets comme elle a traité le jeu de rôles… Voici ce que cela donnerait, par exemple, pour l'alpinisme :

L’alpinisme est un sport nouveau (1), venu d’Allemagne où on le glorifiait jadis (2). C’est une résurgence (3) des mythes païens (4) lors desquels les jeunes hommes devaient grimper dans la montagne et ramener la peau d’un ours pour prouver qu’ils étaient arrivés à l’âge adulte.

De nos jours, ce sport sert à des adultes frustrés pour trouver un exutoire à leur soif de danger (5). Toujours à la recherche d’adrénaline (6), ils s’imposent des épreuves toujours plus folles et cherchent à se mesurer les uns aux autres, chacun voulant être celui qui aura gravi le plus haut sommet. Cette monomanie (7) s’étend même désormais aux femmes, trois d'entre elles se contestant mutuellement la gloire illusoire d’être parvenues au sommet des 14 sommets les plus hauts de la planète.

La préparation d’une « ascension » (c’est le terme mystique, religieux, par lequel on désigne une expédition) obéit à un rituel draconien (8 ). Le « guide » ou « chef de cordée » (autre terme occulte) exerce un pouvoir absolu, tyrannique, sur ses suivants, symbolisé par la corde qui les enserre tous (9). Il dit où on va grimper, dans quel ordre, à quel rythme. Face à son pouvoir, les autres alpinistes n’ont aucun libre-arbitre (10) car ils vivent dans la crainte de l’accident. Accident pourtant inévitable, et qui se solde par de nombreux morts (11) chaque année rien qu’en Europe (12).

Les alpinistes se regroupent en chapelles, les « clubs alpins » (13), et engloutissent des sommes faramineuses dans l’équipement et les voyages nécessaires à leur dépendance (14). Le moindre mousqueton estampillé "NF" est vendu dix fois son prix aux adeptes lobotomisés (15).

Pour preuve de ce que nous avançons, il suffit de savoir que les alpinistes que nous avons contactés fin décembre ont refusé de nous emmener avec eux au sommet du Mont Blanc le week-end suivant, sous prétexte que nous « manquions d’expérience », ce qui montre bien leur volonté de dissimulation et leur mépris des profanes (16). D’ailleurs, que peuvent-ils bien faire seuls là-haut ? ce sera le sujet d’un prochain reportage (17).

Si vous voulez malgré tout pratiquer l’alpinisme sans danger, suivez les conseils suivants :
1. Ne laissez personne vous donner de conseils, c’est une tentative de manipulation, ni vous vendre un stage, c'est le premier pas vers la secte.
2. N’achetez pas de matériel certifié, c’est une escroquerie.
3. Ne confiez votre itinéraire à personne pour que d’autres alpinistes ne tentent pas de vous agresser en montagne, car les rivalités sont féroces.
4. Prévenez la gendarmerie pour que l’hélicoptère reste près de vous, mais pas trop, afin de ne pas guider les autres alpinistes vers vous.
5. Quand l’accident se produira, car ils se produira, criez, agitez un truc rouge, utilisez votre téléphone portable (vous trouverez sur cette page un lien pour en acheter un, car le vôtre ne marche sûrement pas en montagne).
6. Prévenez-nous pour que nous venions enregistrer votre témoignage sur les dangers de l’alpinisme.

(1) Tout ce que ne connaît pas le journaliste est nouveau, même si c’est vieux de vingt ans.
(2) Les choses inquiétantes viennent toujours de l’étranger ; l’Allemagne évoque bien sûr le nazisme, même si l’alpinisme est, en réalité, né en France et en Angleterre.
(3) Une résurgence permet de tout expliquer, et surtout d’établir un lien entre un événement banal et une tragédie passée.
(4) Même si certains pratiquent effectivement de nos jours des rites païens, et que des sectes s’y consacrent, le mot lui-même sert à stigmatiser tout ce qui s’écarte du politiquement correct, en oubliant que la majorité des sectes se veulent chrétiennes.
(5) La « frustration » et la « soif de danger » expliquent tout, avec la « résurgence » de la petite enfance. Vous voulez faire du sport ? Vous voulez vous défouler de votre frustration. Vous voulez une belle voiture ? C’est pour conduire vite, vous êtes « dépendant à l’adrénaline », c’est un substitut phallique. Vous voulez réussir vos études ? Vous êtes frustré de votre réussite sociale. Etc.
(6) Une allusion à la dépendance aux drogues fait toujours bien dans un article.
(7) Une passion se transforme facilement en monomanie pour qui ne la comprend pas.
(8 ) Pour le profane dans n’importe quel domaine, tout semble forcément bizarre, irrationnel et contraignant.
(9) Termes inquiétants, n’est-ce pas ?
(10) Le libre-arbitre est très cher aux journalistes, qui vous indiquent gentiment comment l’exercer en toutes circonstances.
(11) "Nombreux" peut vouloir dire 15 autant que 15.000. Aucune référence ne sera jamais donnée pour ce chiffre, n’insistez pas : le journaliste « protège ses sources ».
(12) Si l’Europe compte tant de morts, le lecteur imaginera le pire pour les autres continents, en oubliant que peu de pays ont les moyens de produire des sportifs.
(13) S’il y a des structures organisées, ce sont forcément des sectes.
(14) Insister sur le caractère néfaste du loisir incriminé par rapport aux saines activités que sont le travail, le fait de regarder la télévision si vous êtes journaliste télé, ou le shopping, qui vous rapporte en publicité.
(15) Cela donnera matière à un reportage : « le vrai prix des mousquetons », qui expliquera longuement que les marchands d’équipements de sport se font leur beurre sur le dos des clients, ce dont on ne s’était jamais douté, vu la loi du silence qui règne dans ce milieu, heureusement que les journalistes ne sont pas laissés prendre.
(16) Si le journaliste ne comprend pas, c’est qu’il y a un complot. Si on ne lui répond pas, c’est la preuve qu’on méprise le public. Si on lui répond et que ça a l’air compréhensible, c’est que c’est étudié pour le tromper.
(17) Rappeler au lecteur que votre média est la seule source d’informations valable.

Pas mal

Je devrais peut-être préciser le matériel du parfait alpiniste : une luge, un casque de spéléo, une boule à neige avec un chalet, et un nécessaire à fondue. Tout ce que le journaliste connaît de la montagne, quoi.